Carnet de route

Le gang des coinceurs de la Sainte Victoire

Le 06/06/2021 par Joëlle

Tout avait bien commencé.

Le timing était parfait, les six premiers complices rangés dans le camion à l’heure dite, armés de tout l’arsenal de cordes à double et coinceurs nécessaires pour s’attaquer à un massif aussi sérieux que la Sainte Victoire. L’essentiel de l’affaire avait été réglé le mardi précédent au local entre habitués et novices ; en un minimum de mots entre visages masqués chacun est reparti en sachant ce qu’il avait à faire.

À 6h le moteur vrombissait, à 6h15 les quatre cerveaux étaient à bord avec à leurs côtés deux des quatre novices de l’aventure. Le plan se déroulait donc sans accroc lorsque, à 6h32 au 18 rue Paul Ramadier, à l’ouverture de la porte arrière soudainement la tarte aux citrons chut, d’une chute franche et directe face contre terre.  Après un insoutenable suspense, un film alimentaire providentiel fit oublier l’incident aussi sec que l’engin fut replacé sur le haut des sacs. À 6h34 le camion avait déjà disparu et la folle équipée intégrait son dernier novice quelques kilomètres plus loin, avant de s’enfoncer vers le sud du pays.

Quelques cafés-hot-dogs, pleins de gasoil et sangles de 60 plus loin, ils arrivèrent à leur planque formée de deux tentes toilées dans un camping deux étoiles où l’amabilité des gérants, venus du nord, tranchaient avec le caractère spartiate des lieux, typique du sud. Ce fut alors le premier soir de riz, et l’on ne connaissait pas encore l’olive. Mais l’on inaugura la découverte des cratères et de l’assez mystérieux voisin digne d’un personnage secondaire de polar et d’un moteur V6 en rythme de croisière.

La répartition des tentes fut l’objet d’une lutte sans merci pour vivre en stéréo la  passion des sports mécaniques. Forts d’une première nuit enrichissante, on s’élança dans les pentes abruptes et les arbustes acérés et se remémora, après quelques mois d’abrutissement viral, ce qu’était une marche d’approche.

L’opération Sainte Victoire pouvait commencer.

C’est tout d’abord par quatre qu’on effectua au pied des voies un bref rappel de manipulation du matériel, aussi astucieux que précieux pour les friends et aussi incommode que bon marché pour les câblés ; quoique certains individus démontrèrent une certaine aisance à fixer ces derniers au cœur d’espaces naturels et de la postérité dans un même geste. Puis on s’attaqua pleins d’allégresse pour les uns à la voie du Pylône et pour les autres à la voie du sud-ouest, faisant voler chausson et reverso et les rattrapant glorieusement en l’air, ou moins glorieusement au sol.  Cette première opération se déroula donc sans encombre pour se finir comme il se doit avec un casse-croûte sur le sommet, entourés  d’une croix et d’une cage SM, puis autour d’une bière et de petits cratères pour notre deuxième soir de riz. Nous ne connaissions pas encore l ‘olive.

En mémoire de cette première journée gît encore une gourde au pied d’une chaîne. Voyageur, si tu t’aventures dans ces contrées tu pourrais apercevoir cette relique mais gardes-toi bien de boire de son eau, même après trois injections Pfizer.

Le lundi, grande était notre détermination pour un lever matinal, d’autant que le son d’une pluie discontinue sur la toile nous assura bien vite que l’on pouvait oublier le réveil. Forts de notre esprit commando nous avons toutefois établi rapidement une liste de courses et après quelques kilomètres en camion le long des voies rapides, nous voilà pourvus d’un pain de guerriers et de frigos remplis pour la semaine, le tout avec un entrain propice à enchaîner une grande voie l’après-midi pour un retour tutoyant le couvre-feu. On osa s’aventurer dans trois voies différentes, et même en tenter d’autres en cours de route parce que l’envie était là et qu’il faut savoir l’écouter, surtout quand on a un maillon rapide à perdre. C’est ainsi que furent parcourus (ou presque) Les deux écailles, Le boulon de gauche et celui du milieu.  Nous n’y avons pas découvert l’olive et avons donc retrouvé nos cratères pour dîner d’un plat express déjà prêt à 23h.

Le mardi, tout avait bien commencé. La rotation des équipes battait son plein et chacun avait choisi la voie de son cœur. Hélas ce ne fut pas réciproque.

Tandis que JXXI effectuait guilleret la danse du cafard (au R1 sur l’arête du même nom), deux autres cordées s’engageaient insouciantes dans l’arête des 133 œillets, dont elles ne verraient pourtant pas la moitié, recrachées comme des noyaux de cerise sur R2 après moult noms d’oiseaux laissés dans L1 et L2 par différentes protagonistes.

Ce devait signer la fin des cratères et le début d’une nouvelle ère, placée sous le signe du gluten et de la question divinatoire.

Mercredi c’était repos, donc couennes puis quelques courses par goût pour les retours tardifs. Des couennes jolies et d’autres un peu vaches, qui ont confirmé que la cotation locale ne nous voulait pas que du bien. Il a fallu se remettre de nos émotions installés sur une terrasse, sous le couvert des platanes et au son des boulistes, les bras délassés tenant au bout une bière, et ça allait déjà mieux.

Cependant, si maîtres et novices ont formé des binômes à chaque opération, l’appel de la bière a rappelé la place de chacun dans le Grand Ordonnancement des Choses et sur les table de quatre imposées par les Douze Commandements du Covid.

 

Ils étaient huit ; quatre poseurs de matos qui en avaient vu d’autres (mais pouvaient oublier les cordes à l’occasion) et quatre à initier au métier du TA, en préférant aux ficelles des sangles homologuées et autre coinceurs. Il était dit que l’opération se déroulerait en montagne, on avait parlé du Néouvielle. Les éléments s’en étaient mêlés et finalement il avait fallu tirer au sud, jusqu’à cette grande masse de calcaire blanc émergée des étendues de chênes verts et de buis balayées par le mistral, qui nous verrait faire connaissance avec l’olive un jeudi soir un peu arrosé.

 

Le jeudi justement, pas un instant déstabilisés par les extravagantes prévisions divinatoires de la veille, on s’engageait dès l’aube sur la journée majeure de la semaine,  avec en point de mire de une à trois grandes voies à enchaîner depuis le socle du massif jusqu’à la croix plantée à son sommet. Accueillis par les Moussaillons, on poursuivit allègrement dans l’Arête des Jardins pour y semer quelque objet de valeur dans un fort joli dièdre. La succession des quatre cordées, même efficaces en manips, a fatigués les deux dernières qui rendirent leur tablier au pied de l’Arête du sud-ouest, déjà gravie le lundi pour certains, tandis que les plus véloces et moins usés par des attentes aux relais bouclaient la totale jusqu’à la croix. S’ensuivit pour les cordées 3 & 4 une descente sportive rendue possible uniquement par le repérage en approche le dimanche. Puis il fallu rendre un hommage rapide mais solennel au smartphone flambant neuf calé au pied du dièdre pour une nouvelle vie au vert et accompagner le deuil de cette relation numérique.

Nos pensées vont vers celui par lequel les objets de valeur (une tarte au citron par ailleurs délicieuse et un mobile quasi neuf) semblent vouloir s’échapper, sans doute partageant tous trois le même désir de liberté.

 

Éprouvés par cette journée et démunis en matière de tomates pelées, il fallu se résoudre à commander des pizzas. Par chance, elle étaient exquises. C’est ainsi qu’on aborda la dernière journée, avec un peu moins d’ambition mais toujours cet esprit de corps qui ferait se succéder quatre cordées sur la même Arête des trois Pointes. Les derniers trouvèrent le temps un peu long, mais tous jugèrent la voie plutôt belle. Chacun eu son siège dans l’arène au sommet pour embrasser une dernière fois ce panorama la bouche pleine. Puis on entama une dernière descente qui n’eut rien à envier aux jours précédents en recherche d’itinéraire et plaisir de faire durer, mais qui offrit au moins une vue inédite sur le profil du plateau sommital assortie de quelques glissades très attendues dans de sympathiques pierriers.

Ainsi s’acheva l’opération Sainte Victoire, sur une assiette de pois chiches et une pensée pour l’olive, à laquelle nous fûmes ouverts intellectuellement parlant._Ceci sans rapport aucun avec la traditionnelle dégustation en haut de voie d’un certain cafiste de renom qui s’en fit la spécialité.

Tout avait bien commencé. Et hormis quelques pertes de matériel, d’heures de sommeil pour certains et d’amour-propre ici ou là pour d’autres, tout se déroula à merveille.Quant au retour il se déroula pareillement qu’au début, avec une organisation au cordeau qui vit crisser les pneus du camion sur le parking d’Europcar à temps. Et chacun s’en fut, riche de souvenirs de coincements, de calcaire et de garrigue plein les yeux, de romarin plein le nez et de crevasses plein les doigts, le tout empreint d’une chaleureuse camaraderie. Au bilan une opération réussie ; où un secret comme seul le Caf en réserve vous a été révélé ; mais que les initiés voudront bien, à l’occasion d’une prochaine sortie, vous dévoiler. Connaissez-vous l’olive ?







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